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Question A à l'étude des loges :

 

Quel avenir pour le projet et les valeurs humanistes face à la digitalisation des sociétés ?

 

La digitalisation des sociétés est elle une formidable opportunité pour rapprocher les hommes et faciliter leur vie, ouvrant le chemin d’un monde partagé et solidaire,  visant à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité  ou bien s’agit-il y a-t-il risque de domination sans humanité des algorithmes et de ceux qui les contrôlent ?

 

La transformation digitale et son accélération sont la résultante de trois forces convergentes : l’innovation technologique en matière informatique et de

télécommunication, l’évolution des usages liés à Internet, l’avènement de la mondialisation.

Cette transformation digitale entraîne une mutation rapide de notre société et fait ressortir des contradictions : l’humain et le non-humain, l’autonomie et la dépendance, le savoir et l’ignorance, la transparence et la confidentialité, la liberté et le contrôle…

À tout cela s'ajoute, la disparition des barrières spatiales et temporelles, la possibilité de rester connecté en mobilité, et enfin l’universalité d’Internet, à propos de laquelle il convient de rappeler que l’ONU elle-même fait de l’accès au Web l’un des critères du développement.

 

La numérisation dans tous les secteurs de notre société a bouleversé, en moins d'une génération, les modes de relations humaines, professionnelles, administratives,  sociétales et notre fonctionnement cognitif... Il s'agit d'un saut civilisationnel équivalent à celui produit par l'imprimerie, Darwin ou Copernic.

 

Les aspects indéniablement positifs de la digitalisation, soutenu par la religion du progrès  ne saurait nous dispenser d'interrogations sur :

-notre capacité à ne pas subir cet outil et en conserver la maitrise

-La possible perte de valeurs démocratiques et la mise à mal du pacte républicain(1)

-La surveillance des réseaux sociaux par les renseignements

-La rapidité et massivité de diffusion des fake news

-la propriété des données collectées

-L’utilisation à bon escient des données dans le domaine de la santé, de l’assurance, du transport…

-La substitution de l’outil digital au travailleur

-La perte des données.

-Les limites d'un système où le progrès est une religion

-L'isolement des télétravailleurs

 

La science-fiction nous avait pourtant largement prévenus des aspects plus délétères du tout digital : contrôle, surveillance, manipulation, effondrement, déshumanisation…

 

Sans sombrer dans le catastrophisme, il convient de constater que la transformation fondamentale des systèmes de communication tend à faire disparaître l'échange humain et présente le risque réel d'exclusion de certaines catégories citoyens que ce soit du fait de leur situation géographique, du manque d'accompagnement à l'utilisation de l'outil informatique, quand ce n'est l'inadaptation de l'outil lui-même le rendant impraticable.

Pour nombre de nos concitoyens, la relation humaine est indispensable pour l'accès à leurs droits les plus élémentaires.

 

Conscient du risque de « fracture numérique », un rapport de la Cour des comptes en 2016  insistait sur l'importance d'un accompagnement des usagers et l'attention particulière due à ceux qui sont éloignés de l'utilisation de ces services informatisés. La cour  plaidait, entre autres, pour des maisons de services au public (MSAP) pour assurer l’accès aux services publics.

 

En octobre 2019 un rapport du Comité d'Évaluation et de Contrôle de l'Assemblée Nationale indiquait qu'après plusieurs décennies de repli des services publics sous le signe des économies budgétaires et des simplifications administratives, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et sa version territoriale, la Révision de l’administration territoriale de l’État (RéATE), puis la Modernisation de l’action publique (MAP) ont durablement marqué le territoire.

Si la dématérialisation de l’accès aux services publics présente d’indéniables avantages, elle a néanmoins conduit à exclure nombre de nos concitoyens des territoires ruraux, mais aussi les personnes âgées, handicapées, vulnérables ou en situation précaire...

Pourtant l'accès aux services publics, quel que soit le lieu, est un rouage essentiel du pacte républicain qui se trouve compliqué par la révolution numérique quand il ne tourne pas au cauchemar kafkaïen.

 

La diminution des implantations de services publics et la dématérialisation des démarches administratives font du numérique la principale voie d’accès aux services publics.

 

Or, 1 % du territoire est toujours en zone blanche et 6 % ne bénéficient que d’une couverture mobile limitée, soit 180 000 personnes qui, légitimement, se sentent exclues ; 15 % du territoire ne bénéficie toujours pas de la 4G même si cette proportion décroît fortement ; par ailleurs, 30 % des habitants des communes de moins de 1 000 habitants ne disposent pas d’un débit de 3 Mbit/s, 600 000 personnes sont à plus de 15 mn en voiture d'un distributeur de billets, et 13 millions sont frappés d'illectronisme  en plus de ceux qui ne sont pas à l'aise avec l'expression écrite. Enfin une enquête de l'OCDE indique que 30 % de la population n'utilise pas internet par isolement manque de formation. Penser que cette incapacité se résoudra démographiquement avec les jeunes générations est une illusion, car les facteurs déterminants sont socio-économiques : diplômes, richesse et pas seulement générationnels… D'autres choisiront, sans doute, de s'exclure du système préférant le local au général, le réel au virtuel, la proximité au social, l'échange humain à l’automate

.

Le choc de simplification promis ne l'ai certainement pas pour tout le monde. L'éducation jouera bien sûr un rôle essentiel, mais elle n'a jusqu'à présent pas prouvé sa capacité d'éradiquer l'illettrisme malgré les moyens importants qui y sont consacrés.

Pour tous ces exclus de fait, une présence humaine à un guichet est indispensable

.

Le Défenseur des droits (rapport annuel 2018) démontre que la dématérialisation a été un palliatif à la réduction des services d’accueil du public guidée par une logique budgétaire »  et qu’il s’agit d’un phénomène massif. En 2018, 93 % des réclamations adressées à ses délégués avaient trait aux difficultés rencontrées dans la relation avec les services publics, contre 84 % en 2017

 

Pour le Ministère de la Santé et des Solidarités: l'accès aux droits sociaux, les démarches administratives, l'obtention de documents de base, reste pour un nombre nos concitoyens une épreuve infranchissable.

 

 

 

 

Notes, extraits et références bibliographiques

 

 

 

« Dématérialisation et inégalités d'accès aux services publics » janvier 2019 Défenseur des Droits

 

Pour le pacte républicain d'accès aux droits :

 

• Le principe de continuité du service public : ce principe  de valeur constitutionnelle : décision 79-105 DC du 25 juillet 1979 du Conseil constitutionnel

• Le principe de l’égalité devant le service public :

corollaire du principe par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 27 août 1789,

• Le principe d’adaptabilité ou de mutabilité : l’autorité administrative doit prendre les mesures d’adaptation du service public afin d’assurer un accès normal de l’usager au service public.

 

Apports positifs de la digitalisation dans l'accès aux droit

• la dématérialisation du revenu de solidarité active (RSA) a permis une hausse de 2% des bénéficiaires1.

• la dématérialisation de la prime d’activité s’est révélée un facteur d’amélioration de l’accès à cette prestation avec un taux de recours élevé, estimé à 73% et dépassant ainsi de 23% les projections initiales.

• la création du «  coffre-fort numérique » pour les personnes en situation de grande précarité.

 

 

Chiffres 2017, Baromêtre numérique

 

• En 2017, 12% de la population âgée de 12 ans et plus, soit près de 7 millions de personnes, ne se connectent jamais à internet et un tiers des Français s’estime peu ou pas comment pour utiliser un ordinateur, soit 18 millions de personnes.

• La fracture numérique est également une fracture sociale et culturelle. Le taux de connexion à internet  varie ainsi de 54% pour les non-diplômés à 94% pour les diplômés de l’enseignement supérieur

 

 

Enquête UFC Que choisir ? Septembre 2017

 

Loin d’améliorer la situation des laissés-pour-compte du numérique, le déploiement des réseaux de nouvelle génération creuse les inégalités.

Fracture numérique : 7,5 millions de consommateurs privés d’une connexion de qualité à Internet 

Plan France très haut débit : une tendance ne permettant pas d’atteindre les objectifs avant… 2035

Fracture numérique aujourd’hui, factures en hausse demain.

 

 

INSEE Première n°1780 Octobre 2019

 

En 2019, 15% des personnes de 15ans ou plus n’ont pas utilisé Internet au cours de l’année, dont 64 % des 75 ans ou plus, tandis que 38% des usagers manquent d’au moins une compétence numérique de base et 2% sont dépourvus de toute compétence.

Ainsi, l’illectronisme, ou illettrisme numérique concerne 17% de la population.

Une personne sur quatre ne sait pas s’informer et une sur cinq est incapable de communiquer via Internet. Les personnes les plus âgées, les moins diplômées, aux revenus modestes, celles vivant seules ou en couple sans enfant ou encore résidant dans les DOM sont les plus touchées par le défaut d’équipement comme par le manque de compétences.

En France, le niveau global de compétences numériques est semblable à la moyenne européenne.

Une personne de 75 ans ou plus sur deux n’a pas accès  à Internet à son domicile.

 

A Lire

 

• L’économie et la société à l’ère du numérique, coll. « Insee Références », à paraître.

• Gleizes F., Grobon S., Legleye S., « 3% des individus isolés de leur famille et de leur entourage: un cumul de difficultés socioéconomiques et de mal-être », InseePremière n°1770, septembre 2019.

• « L’usage des technologies de l’information et de la communication par les ménages entre 2009 et 2018 », Enquêtes sur les TIC auprès des ménages, Insee Résultats, mars 2019.

• « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », Défenseur des

droits, janvier 2019.

• Franchomme M., Laboureur M., « Diagnostic territorial des dispositifs de lutte contre l’illectronisme dans les Hauts-de-France », Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, octobre 2018.

• « L’illectronisme en France », enquête CSA, mars 2018.

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