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    Eteignez la télé et allumez les Lumières

L’idée de cette planche m’est venue suite à une lecture d’un travail éponyme de Philippe Benhamou, l’auteur de l’ouvrage « La F.∙.M.∙. pour les nuls » ». Ce n’est pas une diatribe contre la télé mais une réflexion sur l’héritage des philosophes du XVIIIème siècle. Le jeu de mot était facile et je l’ai conservé. Ne jetez pas votre télécommande, même si vous pensez n’être que des variables d’ajustement ou des consommateurs décérébrés : il y a encore quelques chaînes regardables selon ce que nous en attendons.

 

Qu’était la société au temps des Lumières ?

Quel était le projet de ces penseurs ?

Quel rapport avec la F.∙. M.∙. ?

 

Tout le monde parle des Lumières. On les appelle au secours quand la liberté d’expression est bafouée, on les invoque comme rempart contre le dogmatisme religieux. Les uns se disent héritiers ou défenseurs des Lumières, d’autres les accusent de tous les maux. Certains regrettent qu’elles se soient éteintes, d’autres qu’elles aient pu être allumées … Bref tout le monde parle des Lumières et les F.∙.M.∙. ne sont pas les moins bavards.

Au XVIIIème siècle point de télécommunication, de téléphone portable ni d’internet, mais des salons littéraires, des sociétés savantes et des Loges maçonniques où l’on pouvait parler en toute liberté de sciences, de philosophie et de littérature. Ces voix devenaient vent de liberté et d’émancipation.

Les Loges maçonniques en particulier ont permis à de nombreux intellectuels de se retrouver à l’abri et de pouvoir échanger librement des idées qui allaient remettre en cause l’ordre établi.

La grande majorité de ces hommes et de ces femmes éclairés était des bourgeois, respectueux des lois et pour certains croyants mais c’est en dehors de la religion qu’ils ont commencé à chercher les réponses aux « maudites questions », comme disait Dostoievski, en parlant de la vie, de la mort, de l’amour, de la solitude ou de Dieu sans tomber sous le coup de la censure. En fait il s’agissait de remettre l’homme au centre du jardin de la Connaissance et de lui permettre de répondre aux « maudites questions » qui le préoccupent toujours et de s’interroger sur la nature humaine et le destin de l’humanité avec pour seul outil son cerveau et le raisonnement.

Bref, pour faire court et caricatural, on a jeté la religion avec l’eau du bain mais après on met quoi dans la baignoire ?

Si Dieu n’est plus là comment répondre aux angoisses des hommes ? A coup de Prozac ? A coup de divertissements télévisuels ? Chacun a sa réponse au fond de lui-même et il n’y a pas, j’en suis persuadé, de solution universelle.

 

L’encyclopédie de Diderot diffuse les idées nouvelles et les progrès du moment sont expliqués sous forme de planches qui décrivent les procédés scientifiques.

Mais il ne faut pas croire que ce mouvement ait obéi à un plan élaboré ni qu’il y eut un consensus général sur ses principes. Plus qu’un programme, les Lumières sont, pour reprendre les mots de Kant, « une audace de la pensée ».

Mais quel rapport entre les Lumières avec un grand L, portées par Voltaire, Rousseau, Diderot et la petite lumière que nous apercevons le jour de notre initiation ? Avant de tenter de répondre à cette délicate question, il faut peut-être préciser ce que le projet des Lumières propose.

Selon Todorov, ce projet est guidé par trois valeurs : l’autonomie, la finalité humaine et l’universalité. L’autonomie consiste à agir selon les maximes de notre propre jugement.

La finalité humaine consiste à rejeter la notion de salut et à la remplacer par celle du bonheur terrestre, ici et maintenant.

L’universalité affirme que les êtres humains sont égaux en droit.

L’idée est séduisante, surtout que Kant ajoute que cela n’a pas vocation à déboucher sur un corps de doctrine universelle et qu’il faudra toujours recommencer.

Ces deux caractéristiques des Lumières, la méthode et la reconstruction permanente, parlent bien aux oreilles des F.∙. M.∙. car elles sont au cœur de la démarche initiatique du R.∙.E.∙.A.∙.A.∙. : rien n’est jamais acquis et tout est à reconstruire en permanence, nous le constatons au fur et à mesure que nous avançons sur notre chemin initiatique.

Transmettre la méthode et non l’enseignement d’une doctrine est une garantie contre le fanatisme, le dogmatisme et l’intolérance.

 Chaque homme a au fond de lui-même une petite lumière qui ne demande qu’à briller encore plus et c’est cette petite lumière qui le guide sur le chemin de sa vie. Cette quête, inspirée par le « connais-toi toi-même » de Socrate, est notre moteur.

Derrière l’éloge de la raison, prôné au XVIIIème siècle, se dessine un véritable programme de développement de l’esprit critique, programme qui inclut une mise en garde contre les dogmes et contre l’ignorance sous toutes ses formes.

En tant que F.∙. M.∙. je me reconnais parfaitement dans cette méthode mais je sais aussi que le combat doit être mené autant à l’extérieur qu’ l’intérieur de moi et  c’est là, je crois, que la F.∙. M.∙. se distingue de l’esprit des Lumières. Là où ce dernier parle de contrat social et d’engagement dans la cité, ce qui est aussi valable pour tout F.∙. M.∙., celui-ci insiste sur le travail sur soi, sur le perfectionnement moral, sur élévation spirituelle et la responsabilité individuelle.

 

Parler de lumière c’est évidemment parler aussi d’ombre. Plus la lumière est intense, plus l’ombre est épaisse. Lumière et obscurité, connaissance et ignorance, ne peuvent exister l’un sans l’autre, ils sont condamnés à vivre dans une perpétuelle dynamique d’opposition.

Dirigez le projecteur sur le projet encyclopédique de systématisation des connaissances de Diderot et vous verrez tapis derrière les étagères, mais aussi au plus profond de nous, Bouvard et Pécuchet, bêtes mais ô combien tendres et humains, qui pensent tout savoir, tout connaître, tout comprendre.

Flaubert mourut avant de terminer son roman et nous qui aimons voir du sens derrière chaque chose, pouvons imaginer cet inachèvement comme le fait que l’accès à la connaissance est un travail sans fin et que nous ne savons finalement ni lire ni écrire et pour reprendre les mots d’Aragon, que le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard.

 

Ce n’est pas parce qu’on se dit F.∙. M.∙. – d’ailleurs on ne se dit pas F.∙. M.∙., on est reconnu comme tel par ses FF.∙. et SS.∙. – qu’on est immédiatement auréolé d’une petite lumière allumée par l’esprit de Voltaire qui nous permettrait non pas d’éclairer mais de briller.

A plusieurs moments, lors de l’initiation, il est fait référence à la lumière que le candidat va recevoir. Que reçoit-il vraiment ? Un morceau d’esprit saint, une parcelle de révélation, un secret magique ? Rien de tout cela n’a été donné. Je crois qu’il a été donné une faculté à penser différemment, à penser en relatif et non en absolu, à laisser son imagination irriguer sa pensée, à penser sans avoir peur de penser … et tant mieux si l’esprit est disponible pour cela, sinon on apprendra à le rendre disponible.

Ce n’est pas parce qu’on est F.∙. M.∙. qu’on est comme par un coup de baguette magique, tolérant, fraternel, bon et moral. Ces vertus s’acquièrent par le travail, rien n’est donné, tout est à construire, à reconstruire, y compris l’esprit des Lumières dont nous nous parons souvent, comme un torero dans son habit de lumière.

Certaines Loges seraient plus inspirées de placer Bouvard et Pécuchet ouvert sur l’autel des serments comme volume de la loi, mais étant fraternel je ne dirai pas de nom !

Si les Lumières sont une audace de la pensée, ceux qui s’en disent les héritiers devraient crouler sous les pensées les plus audacieuses. Force est de constater qu’elles ne sont pas nombreuses ou qu’elles se cachent bien. Ce n’est pas pour autant qu’il faut être défaitiste car souvenons-nous que si le crépuscule est la lumière particulière qui suit le coucher du soleil, c’est aussi celle qui précède son lever.

Souvenons-nous que les Lumières sont à allumer en permanence, à la façon de l’allumeur de réverbère du Petit Prince qui parcourt sa petite planète. D’ailleurs ce personnage se plaint en permanence car, (je cite), « la consigne n’a pas changé ». C’est bien là le drame ! La planète d’année en année a tourné de plus en plus vite et la consigne n’a pas changé. La réponse du Petit Prince nous éclaire, (je cite),  « Tu n’as qu’à marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer, tu marcheras et le jous durera aussi longtemps que tu voudras ».

Certaines personnes ont choisi de marcher assez lentement pour rester toujours éclairé par le soleil.  F.∙. M.∙. ils décident de mettre leur vie entre parenthèses le temps des tenues et de caler leur vie non pas sur la précipitation du monde mais sur un temps différent, celui de leur perfectionnement, sans examen ni sanction, sans garantie de résultat et sans business plan !

La démarche maçonnique, c’est un peu comme si on avait à notre disposition un variateur d’intensité comme celui que nous avons au pied de l’halogène. Avec ce variateur le F.∙. M.∙. a la capacité de faire varier la lumière sur lui-même et sur les choses.

Montez le variateur et augmentez l’intensité lumineuse à l’extrême et l’éclairage portera jusqu’en Utopia, cette île imaginaire située par Thomas More quelque part aux confins du nouveau monde où tout est possible.

La Loge, notre Utopia, est un laboratoire des futurs possibles, pour soi et pour le monde. Un laboratoire et non un oratoire, c’est-à-dire un lieu où l’on cherche et non un lieu où l’on prie.

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