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La dernière minute

 

Avant de commencer, il faut d’abord que je vous fasse une confession. Enfin, pas au sens catho, mes rapports avec l’église étant assez distendus. D’ailleurs je ne suis jamais allé à confesse.

Non un aveu plutôt.

Je m’étais promis de ne plus me laisser aller à un de mes penchants naturels fort gênant qui hélas fait partie de mon caractère et que je n’ai jamais pu, même après des années d’efforts assidus supprimer.

Pourtant le souvenir douloureux de la dernière fois ou je suis monté à ce plateau d’orateur aurait du me donner suffisamment de bonnes raisons pour tenter de me corriger définitivement de cette mauvaise manie.

Je me revois encore remâcher ma colère contre moi-même, au fur et à mesure que le maître des cérémonies me conduisait vers l’orient et je m’entends encore  me promettre, sanctions à l’appui, que plus jamais je ne me reprendrais à bâcler avec autant de constance et d’application mes échéances

Parce qu’en fait, il faut quand même que je vous le dise :

 

Je fais tout à la dernière minute.

 

C’est plus fort que moi, même si j’ai une année devant moi, il faut que j’attende la dernière extrémité pour m’atteler à la tache. Je suis incapable d’anticiper, de me donner du temps pour faire les choses correctement.

J’ai eu beau essayer, j’ai toujours ergoté jusqu’au dernier moment. Et là  quand dos au mur, quand plus aucun échappatoire n’est possible, alors là, je me mets au travail.

C’est de cette attirance, de cette attraction vers cette dernière minute, celle qui ne laisse plus le choix, ni espoir de reculer, de différer ou repousser que je voudrai  ce soir vous emmener.

 

Soixante secondes, une éternité. J’ai l’éternité devant moi.

59 s Rien ne presse, j’ai tout mon temps. Je viens juste de naitre. Tout est nouveau. Tout attise ma curiosité.

58 57 56 55s  Les instants coulent avec une lenteur qui nargue mon impatience.

50S D’ailleurs, je ne sais même pas ce qu’est le temps. Je n’ai pas encore de passé, ou si peu, qui m’entrave et ne vit que dans le présent.

45 s C’est le temps de la jeunesse, de l’insouciance, le vrai trésor de l’homme selon Ronsard, pour qui « le reste des ans ne sont que des hivers ».

40S  C’est le temps de l’amour surtout, qui me prend tout mon temps, cette passion qui me dévore mais qui seule peut arrêter le temps.

35S  Et puis viens le temps de la maturité et des certitudes.

30S  Tout est à sa place, organisé. Le temps s’écoule régulièrement et sans surprises.

28S Je suis bien finalement, mais les habitudes ont remplacé tout doucement les désirs.

26S Pourtant le temps de la décrue se profile déjà à l’horizon et l’inquiétude me gagne insidieusement.

25sPas encore la peur, mais quelque chose au fond de moi qui annonce que le temps de la sérénité est révolu.

23S Petit à petit, l’avenir qui me paraissait plein de promesses et de certitudes me semble plus terne et sombre.

21S En regardant devant moi, je vois ma jeunesse qui s’éloigne et la vieillesse qui me guette en embuscade.

20S Je la vois qui vient s’installer subrepticement avec son cortège de déchéance physique et morale  et de laideur :

« Mourir, cela n’est rien »

« Mourir, la belle affaire »

« Mais vieillir, ah ! Vieillir»  a dit J.Brel

19S Alors la peur m’étreint parfois. Car dans le sillage de cette vieillesse, se profile la solitude.

18S La solitude dans laquelle on va me ranger et m’écarter et celle dans laquelle je vais petit à petit  m’enfermer moi-même.

 

17S Mais maintenant, la peur laisse la place à l’angoisse.

Cette angoisse qui m’envahi complètement

16S L’angoisse du temps qui coule sans que l’on puisse l’arrêter et dont la vitesse semble s’accélérer de plus en plus.

15S L’angoisse de la prise de conscience que le temps qui reste est définitivement compté et s’épuise.

13 S  Alors les regrets commencent à m’assaillir :

  • qu’ais je fais de mon temps

  • combien en ais je gaspillé

  • pourquoi ais je manqué toutes ces occasion

  • ah, si je n’avais pas été comme ceci

  • pourquoi n’ais je pas fais cela

11S Les regrets me rongent, ils ont pris la place de mes rêves et m’enlèvent désormais tout espoir.

9S   Avec ces regrets qui m’écorchent, me reviennent les souvenirs, ceux qui font dire à Baudelaire :

« Horloge, dieu sinistre, effrayant, impassible, »

« Dont le doigt nous menace et nous dit, »souviens toi »

« Les vibrantes douleurs dans ton cœur plein d’effroi »

« Se planteront bientôt comme dans une cible »

 

 

8s  Alors il faudra bien que je me résigne et que j’admette mon sort et mon impuissance à changer le cours du temps.

7s  Que j’accepte la fatalité même si je ne peux la comprendre.

6s J’aimerai encore me révolter comme avant, crier l’injustice. Mais maintenant je sens que c’est peine perdue, que je n’ai plus la force, mais aussi que je n’y crois plus.

5s  Déjà tout commence à s’éloigner de moi

4s  Je me détache progressivement de ce monde  petit à petit comme s’il  se rétrécissait de plus en plus.

3s  Maintenant tout m’indiffère, rien n’a plus d’importance. La peur et l’angoisse m’ont quitté.

2s  J’attend cet ultime instant à la fois comme une délivrance un espoir.

1s  J’ai maintenant hâte d’arriver au terme du voyage pour savoir, peut être enfin comprendre.

 

 

 

0s, 0s Ca y est, c’est l’heure ; c’est l’heure. Merde je n’ai pas fini

Je m’étais pourtant promis que cette fois ci je ne tomberai pas dans le piège.

C’est vraiment plus fort que moi, j’ai toujours l’illusion que cette dernière minute ne finira jamais un peu comme la flèche de Zénon.

Vous savez, c’est l’histoire d’une flèche tirée par un archer qui ne rejoindra jamais la cible parce que pour l’atteindre, elle devra avant d’arriver parcourir la moitié de ce qui lui reste à courir et que comme toute distance  peut toujours être divisée par deux, il lui restera toujours une moitié de quelque chose qui l’empêchera de toucher la cible.

Comme j’aimerai croire que l’on peut aussi couper les secondes en petit bout qui même s’ils sont de plus en plus cour, peuvent faire reculer l’inéluctable.

Finalement c’est une bonne idée, c’est décidé, la prochaine fois, j’attendrai pour me mettre au travail :

La dernière seconde.

J’ai dit.

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