loge Giordano Bruno
A propos de l’Amour
Je viens de terminer un livre de Paulo COELHO « Le manuscrit retrouvé » et une phrase me revient sans cesse à l’esprit : « nous trouvons dans notre activité quotidienne la même joie que ceux qui sont partis un jour à la poursuite de leur rêve ».
Tous les hommes rêvent mais pas de la même façon affirme un certain Lawrence d’Arabie : ceux qui rêvent la nuit s’éveillent le jour et découvrent que leur rêve n’était que vanité mais ceux qui rêvent le jour sont dangereux car ils sont susceptibles, les yeux ouverts, de mettre en œuvre ces rêves.
Partir à la poursuite de mes rêves ! Est-ce une garantie de trouver la joie, de partager l’Amour ?
Il n’est pas question de réaliser mais de poursuivre mes rêves, qui peuvent être cauchemars dans la vie quotidienne, la vie profane, la vie maçonnique, la vie matérielle, la vie idéalisée.
Peut-on séparer ces vies, les cloisonner ?
Voici un vaste programme auquel je voudrai me consacrer pour tenter de garder la tête hors de l’eau, de retrouver une lucidité qui me fuit depuis quelque temps, de reprendre pied dans un monde que je ne comprends plus et où la solitude commence à me faire mal, peut-être parce que je sais que je me rapproche du moment où je serai désespérément seul face à la Camarde, à « L’indésirable » comme l’appelle COELHO.
La connaissance que je pense avoir acquise ne me sert plus à rien, sauf peut-être à transmettre, Une première approche de l’Amour est sans doute là.
Quoique je fasse l’hiver laissera la place au printemps et l’été finira par s’effacer devant l’automne : les lois de la nature sont immuables ; il n’y a dans ces cycles perpétuels ni vainqueurs ni vaincus, tous se succèdent et moi-même je ne suis qu’un passant, un rêveur, qui ne sait pas faire la différence entre un rêve qui tourne mal et un cauchemar qui m’apprend quelque chose. Les rêves de certains sont des cauchemars pour d’autres. Il suffit parfois de petits changements pour passer d’un état à un autre.
Le rêve me réjouit parfois parce que je sais que je peux aller au-delà (déjà !) et en faire davantage. Rêver n’implique aucun risque. Le danger c’est de vouloir transformer le rêve en réalité et de ne pas pouvoir le faire compte tenu de l’environnement.
La Franc Maçonnerie m’a appris le mot « Amour » avec un A majuscule qui n’a de commun avec celui qui s’écrit avec une minuscule que le fait d’être difficile à apprivoiser.
Amour est pour moi synonyme d’accueil, de liberté, de lâcher prise, de don, de respect, de tolérance.
Il en est un peu de même pour le rêve si on le considère comme une ouverture, une possibilité d’aller vers quelque chose.
Poursuivre un rêve ou vivre l’Amour ce n’est pas courir après quelque chose, c’est suivre les voies qu’ils m’offrent, c’est accepter une direction, un chemin, que l’on a envie de découvrir et sur lequel on doit être prêt à rencontrer des obstacles, des virages dangereux.
Le secret du chemin initiatique n’est peut-être que cela. Un chemin qui va m’apprendre à dire « non » et à dire « oui » sans crainte des conséquences.
Mais que faut-il comprendre sous ce mot Amour ?
D’abord l’Amour pour moi-même qui n’est pas du narcissisme ; l’idée est plutôt de faire la paix avec cet ennemi aperçu dans le miroir le jour de mon initiation ; le fil à plomb doit être utilisé avec bienveillance. Cet Amour est celui d’estime, le « connais toi toi-même » : quelles sont mes forces et mes faiblesses.
Ensuite l’Amour reçu des autres dont le plus bel exemple est le passage du profane entre les mains des membres de l’Atelier le jour de l’initiation.
Enfin l’Amour donné aux autres : c’est de cet Amour qu’il est question en Franc Maçonnerie. C’est un acte de foi, de confiance, de réconciliation ; une croyance dans l’égale dignité des êtres humains quels que soit la couleur de leur peau ou leur sexe. Mon testament rédigé dans le cabinet de réflexion en est la première matérialisation que je retrouverai plus tard dans les lacs d’amour.
Cet Amour implique un partage et avant tout un partage de mes peurs afin de les analyser et de ne plus les subir. La peur de ne pas être à la hauteur de ce que nous voulons être est salutaire car elle nous pousse à nous surpasser et partager cette peur permet de recevoir des autres enrichissements et réconforts.
Il me parait évident que moins on accorde d’importance à sa peur plus on a de chance de réussite. Me lancer un défi me semble aussi porteur de joie même si la réussite n’est pas au rendez-vous. Je dois aussi savoir gérer mes défaites et oublier mes déconvenues.
Un coucher de soleil est toujours plus beau quand le ciel est couvert de nuages.
Je veux également cultiver l’amitié qui est l’un des multiples visages de l’Amour, l’amitié qui est un acte de foi en l’Autre, que l’on choisit, qui ne vous est pas imposé.
C’est un sentiment qui me parait encore plus fort que la fraternité qui implique plus une relation de groupe. Si quelqu’un sort de ma fraternité je suis malheureux mais si quelqu’un sort de mon amitié je suis désespéré. J’aimerai écrire également ce mot avec une majuscule.
Le cantique des cantiques, l’une des parties de l’Ancien Testament, appelé aussi Cantique de Salomon, affirme que l’Amour est plus fort que la mort ; formule déterminante de l’épreuve de la terre le jour de mon initiation. Dans le cabinet de réflexion je meurs à la vie profane pour naître à la vie maçonnique. J’ai tué le vieil homme même si je n’ai pas encore mis en application, ou alors d’une manière spontanée et irréfléchie, le principe de l’Amour.
Je pense aussi que ces deux éléments ne sont pas antagonistes mais complémentaires ; ils représentent à la fois une union et une gradation.,
L’Amour survivant à la mort, c’est aussi l’un des messages de la Franc Maçonnerie si l’on se souvient de la fleur choisie par ceux ayant souffert de la barbarie nazie en raison de leur engagement maçonnique : le myosotis. Or cette fleur a une légende : celle d’un chevalier qui après l’avoir cueillie tombe à l’eau entraîné par le poids de son armure se noie et n’a que le temps de lancer le myosotis à sa dame en criant « ne m’oubliez pas ».
En mourant à la vie profane la Franc Maçonnerie m’a conduit directement à la question du bien vivre. André Comte Sponville affirme (je cite) ; « Essayer de vivre mieux, plus sereinement, c’est augmenter sa part d’Amour et diminuer, au moins en proportion, la part d’espérance et de crainte ».(fin de citation)
Associer l’Amour à la mort n’est pourtant pas une évidence : les couples Amour/haine et mort/vie paraissent plus compatibles ; il me semble cependant que l’Amour peut transcender la mort : le souvenir est plus fort que l’oubli et l’Amour ouvre un dialogue entre les morts et les vivants (cf. les cérémonies dans les cimetières mexicains où les familles viennent manger et danser avec les disparus). Certaine chaine d’union affirme « qu’il n’y a qu’un seul amour, celui des vivants et des morts ».
Dans cet esprit je vous conseille de voir ou de revoir le film de Nani Moretti : « La chambre du fils ».
Il reste cependant un élément important dans cette manifestation de mon Amour lors de la maladie d’autrui : ma conscience est le maître mot qui doit guider mon comportement, ma conscience construite autour d’un axe principal : la dignité de l’homme porteur en tant qu’être humain d’une parcelle d’esprit. Lorsque les circonstances me l’imposent il m’est très difficile d’assumer ma solitude face à cette situation : je dois donner à l’autre quelque chose d’in-quantifiable, d’inestimable, faire partager de l’humanité. Je dois lui dire que je l’aime et que je partage sa peur et son angoisse.
C’est dans ce partage que le mot accompagnement trouve la plénitude de son sens : cheminer avec, faire un bout de chemin, le bout du chemin.
L’Amour au-delà de la mort c’est aussi l’Amour qui sauve de la mort. Primo Levi dit qu’à Auschwitz, au pays de la déshumanisation, là où il n’y a plus de pourquoi, l’Amour l’a sauvé, dans le sens où voir dans les yeux de ses camarades qu’il était encore un homme lui a permis de garder sa dignité.
Je suis en maçonnerie pour apprendre à vivre et apprendre à vivre c’est aussi apprendre à vivre ma propre mort, apprendre à vivre celle de l’autre sans être dupe de mes faiblesses et de ne pas tricher avec moi-même. Je dois me faire confiance … et commencer par faire confiance aux autres.
La mort doit m’inciter à l’Amour et à l’action. Si je devais mettre un quatrième pilier autour du tableau de Loge sur le pavé mosaïque ce serait celui de la mort, trait d’union entre la sagesse qui mène à la paix et la force qui conduit à l’Amour pour, peut-être, approcher la Beauté.